Société de Calcul Mathématique, SA
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Le rôle du mathématicien

 

Commençons par écouter Victor Hugo (Les Misérables, "L'idylle rue Plumet") :

Dieu livre aux hommes ses volontés visibles dans les événements, texte obscur écrit dans une langue mystérieuse. Les hommes en font sur le champ des traductions ; traductions hâtives, incorrectes, pleines de fautes, de lacunes et de contre-sens. Bien peu d'esprits comprennent la langue divine. Les plus sagaces, les plus calmes, les plus profonds, déchiffrent lentement, et quand ils arrivent avec leur texte, la besogne est faite depuis longtemps ; il y a déjà vingt traductions sur la place publique. De chaque traduction naît un parti, et de chaque contre-sens une faction ; et chaque parti croit avoir le seul vrai texte, et chaque faction croit posséder la lumière.

Le mathématicien est là pour tenter d'établir des lois à partir de données. Ces données sont recueillies par des expérimentateurs : physiciens, chimistes, ingénieurs, etc. En déduire ensuite des lois, comme les lois de Maxwell, de Navier-Stokes, etc., c'est un travail de mathématicien.

L'exemple le plus remarquable concerne les trois lois de Kepler, concernant le mouvement des planètes, établies entre 1609 et 1618 à partir des données fournies par Tycho Brahe. Il s'agissait alors de lois empiriques (comme on dirait de nos jours), devenues scientifiques après Newton.

Même pour établir une loi empirique, le mathématicien a besoin d'un langage quantitatif. Ce langage est constitué de tout l'arsenal lentement développé depuis des millénaires : fonctions, calcul différentiel, équations aux dérivées partielles, probabilités, processus stochastiques, etc. La nature du langage conditionne les concepts : on ne peut parler de vitesse instantanée si on ne comprend pas le concept de dérivée.

Il est rare qu'un problème puisse être posé sous la forme d'une équation explicite, comme l'attraction universelle. Bien souvent, les volontés de Dieu visibles dans les événements, comme dit Hugo, se traduisent par des ensembles de données complexes, confus, comprenant de très nombreux paramètres, sujets à des incertitudes et à des erreurs, et le texte est assurément obscur ! Le mathématicien essaiera de faire émerger quelques informations : quels sont les paramètres qui influent le plus sur le résultat ? Dans quel cas celui-ci est-il croissant ou décroissant ? Quelles sont les configurations de paramètres où le résultat dépassera un certain seuil ? Les lois que le mathématicien moderne croit discerner sont bien moins élégantes que celles de Kepler !

Une part de la recherche, mais aujourd'hui moins importante, concerne l'amélioration des procédés de résolution : résoudre plus vite et plus précisément des équations dont la forme est connue.

Dans le monde académique, la recherche porte également sur des axiomes, définissant un formalisme : il s'agit de construire un cadre, le plus simple et le plus élégant possible. Le danger est, dans cette approche, que le cadre n'ait plus grand'chose à voir avec les lois de la nature ; cela devient de l'art pour l'art, comme disait Von Neumann.

Les mathématiques sont la plus ancienne des disciplines intellectuelles. Lorsqu'il est sollicité par la "société civile", le mathématicien a un devoir de critique et de vigilance à l'égard des constructions qui lui sont soumises :

Le mathématicien ne sait rien sur rien ; ses connaissances, faibles en physique et chimie, sont infimes en sciences du vivant et de la Terre. Il contemple sans a priori et sans passion les sujets de société qu’on lui soumet et sur lesquels il voit avec surprise s’exalter les foules et les médias.

Forgé par six mille ans de rude discipline intellectuelle (voir note plus bas), il juge la validité des raisonnements et la pertinence des conclusions. Son royaume est celui de la logique. Il sait – cela fait des millénaires qu’il s’y essaie – que les secrets de la Nature ne se laissent pas aisément percer ; on ne sait pas résoudre les problèmes et on ne sait même pas les poser. Lorsque des blancs-becs pensent, en quelques années, avoir découvert quelque loi, avec deux douzaines de mesures, il sourit.

Insensible aux pressions, aux modes, aux accommodements, il voit avec étonnement, et même avec scepticisme, "les experts s’accorder" sur un sujet quelconque. Si un raisonnement est correct, il s’impose à tous. Si les experts s’accordent, c’est que quelque chose pose problème.

Bien des disciplines se sont construites sans mathématiques, et bien des disciplines se sont effondrées ; toute science repose sur des mesures et sur des raisonnements. Lorsqu’un raisonnement est incomplet, faux, le mathématicien le dit, seul, tranquille, presque à voix basse.

Et c’est en vain, alors, que les colloques les plus huppés, les titres académiques les plus prestigieux, les publications les plus renommées, appuyées sur les ordinateurs les plus puissants, porteront aux nues le consensus le mieux établi, repris par tous les journaux et clamé par tous les peuples. Tout cela n’a pas plus de valeur que de grossières figures tracées sur le sable par une tribu de sauvages implorant ses idoles pour faire venir la pluie.

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Voici ce qu'écrit Arthur Koestler, les Somnambules, 1959 :

Il y a quelque six mille ans, quand l'esprit humain sommeillait encore à demi, des prêtres chaldéens se tenaient sur les tours de garde, épiant les astres, dressant les cartes et les horaires de leurs mouvements. Des tablettes d'argile datant du règne de Sargon d'Akkad, vers 3800 avant JC, témoignent d'une tradition astronomique déjà ancienne. Les horaires devinrent des calendriers qui réglaient toute activité organisée, de l'agriculture aux cérémonies religieuses. Les observations se firent étonnamment précises : les Babyloniens calculaient la longueur de l'année avec un écart de moins de 0,001 pour cent par rapport à la valeur correcte, et leurs chiffres relatifs aux mouvements du Soleil et de la Lune ont une marge d'erreur qui n'est que trois fois supérieure à celle des astronomes du XIXème siècle, armés de gigantesques télescopes. A cet égard, leur science était une science exacte ; leurs observations étaient vérifiables et leur permettaient de prédire avec précision les événements astronomiques ; bien qu'elle fût basée sur des postulats mythologiques, la théorie "donnait des résultats".

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Les mathématiques sont là pour comprendre les lois de la Nature ; c'est Satan qui les a conçues.